Tahiti 80 (FR)
Eût-il été choisi par Jean de la Fontaine pour égayer une fable, Tahiti 80 aurait à n’en a pas douter hérité du rôle de la fourmi. Appliqué et constant, le groupe formé par Xavier Boyer et Pedro Resende au cœur des années 90 sur le campus de la fac de Rouen n’a eu de cesse de travailler, affinant et enrichissant son écriture au fur et à mesure de ses albums- cinq sont parus à ce jour. De l’inaugural Puzzle au dernier The Past, the Present & The Possible, Tahiti 80 a ainsi toujours préféré le renouvellement à l’option confortable du sur-place, considérant chaque disque comme une occasion d’explorer un univers sonore nouveau, et d’aller plus loin encore dans la vaste entreprise que constitue l’écriture d’une pop-song. Si l’on a vu le groupe se frotter aux machines et à l’électronique sur le dernier album, on se souvient ainsi d’une ouverture aux musiques noires au moment du très produit Fosbury, puis d’un retour à une écriture pop immédiate avec Activity Center- autant de conversions qui montrent un groupe en constante recherche, en permanente évolution.
Pourtant, ce qui frappe à l’heure de célébrer les 20 ans du groupe, c’est qu’il est parvenu, tout en alignant des chapitres éclectiques, à rédiger une histoire homogène et régulière. Depuis l’arrivée du guitariste Médéric et du batteur Sylvain en 94, Tahiti 80 a ainsi sorti, peu ou prou, un disque tous les trois/quatre ans. Tous affichent un songwriting savant, appris dans le répertoire des labels Factory et Sarah Records et chez les héros du groupe, dont les noms témoignent d’un véritable amour pour le grand Ouest : Teenage Fanclub, Stone Roses, Clash, Boo Radleys, My Bloody Valentine et légendes sixties oubliées comme The Left Banke. « Quand on nous demande de décrire notre musique, j’aime répondre que nous allons piocher dans une discothèque qui va de A à Z, c’est-à-dire de Aphex Twin aux Zombies », résume Xavier. Fort de ces influences, Tahiti 80 a enraciné, bien avant qu’elle ne devienne une mode, une pratique de pop bigarrée et bilingue en France. A une époque où l’on demandait aux artistes d’ici, pour des histoires de quotas, de s’exprimer dans la langue de Gainsbourg, Tahiti 80 jouait en effet déjà les visionnaires, illustrant son goût pour le verbe de Dylan Thomas et Carson McCullers dans des textes à l’anglais impeccable, et mariant, dans une tradition musicale très anglo-saxonne, formats pop classiques et rythmiques venue du dance-floor. « On avait envie d’allier une modernité dans le son à un certain songwriting classique, hérité des années 60. Nos envies n’ont pas vraiment changé. »
Autre constante dans l’histoire de Tahiti 80, la façon dont le groupe connaît depuis ses premières tournées un succès plus grand hors de ses frontières que sur sa terre natale. Reconnus en France, les Français jouissent d’une très grande notoriété en Belgique, aux Etats-Unis et surtout au Japon, où le single Heartbeat fut à l’époque de sa sortie le titre le plus diffusé sur les ondes nippones, et où le groupe continue d’expérimenter une forme de Tahitimania à chacun de ses passages. « Des filles se jetaient sous les taxis, des gens nous offraient des disques lors de nos showcases. Un gérant du magasin HMV nous a dit qu’il n’avait pas connu ça depuis James Brown. Aux Etats-Unis, on a fait des tournées à guichets fermés. Les Posies, qui étaient nos héros, sont venus nous voir. »
A ces voyages lointains, s’ajoutent, dans l’histoire de Tahiti 80, une série de coopérations avec des musiciens et producteurs étrangers : Andy Chase, Tore Johannson (Cardigans), Eric Matthews (Cardinal), Adam Schlesinger (Fountains of Wayne)… Ce goût pour les collaborations, Tahiti 80 l’a poussé plus loin encore, allant combler les intervalles entre ses disques en produisant les travaux des autres : Mehdi Zannad, les Bordelais Calc, la star nippone Kahimi Karie, ou encore les jeunes Rennais Manceau, que le groupe a pris sous son aile dans son studio rouennais du Tahiti Lab, où il agence depuis ses débuts une belle collection d’instruments. « Dès qu’on gagne un peu d’argent, on achète du matériel. Je me souviens d’un groupe qui expliquait avoir acheté un 8-pistes pour pouvoir continuer à faire de la musique si jamais le label laissait tomber le groupe. C’est un peu pareil pour nous. » Une ouverture aux autres que le groupe est aussi parvenu à développer en son sein : les problèmes auditifs du batteur Sylvain après Fosbury ont poussé Tahiti 80 à repenser la répartition des rôles au sein du groupe, permettant une nouvelle renaissance via l’arrivée d’un nouveau musicien dans la formation d’origine. Désormais quintet, le groupe bénéficie de la présence de Raphael Léger à la batterie. Après sa signature avec le label Atmosphériques et son contrat avec Universal, le groupe a monté, il y a quelques années, sa propre structure de production, Human Sounds. Riche de ces expériences et de ces renaissances, Tahiti 80 a ainsi rédigé le premier chapitre passionnant d’une histoire dont la suite s’écrit cet été avec la sortie de Bang, nouvel EP précédant un sixième album à venir l’an prochain. Forcément novateur.