Glauque (BE)
Qu’est-ce que Glauque ? Une couleur ? Une ambiance ? Une époque ? Ou bien le tout résumé dans les exploits d’un groupe dont la genèse remonte à 2017 quand Louis Lemage, étudiant en rupture de cursus qui souhaitait transposer ses textes écorchés en chansons, réalise quelques maquettes avec Aadriejan Montens, élève au conservatoire de Namur en Belgique. Quelques mois plus tard, Baptiste et Lucas, eux-mêmes étudiants au Conservatoire les rejoignent et les quatre ne tardent pas à donner leurs premiers concerts, rendant nécessaire l’adoption d’un nom. Glauque donc.
Faisant suite à l’EP Glauque, un maxi de 6 titres qui regroupait leurs premiers singles, Les gens passent, le temps reste est leur premier album. Comme le nom du groupe qui joue de la polysémie, la musique de Glauque se distingue par son ambivalence à exprimer le mal et la rage de vivre. « Faire face à la perte avec ce qu’elle laisse en nous de bon et de moins bon » : voilà abrégé l’esprit parcourant les 12 titres de Les gens passent, le temps reste. Une perte qui ne se limite pas à la sensation d’impermanence que trahit le titre de l’album, ni au Deuil que porte sur 10 minutes le morceau final. Elle ne coïncide qu’en partie à la rupture amoureuse de Bleu.e, au désenchantement de Plan Large, au fatalisme de Pas le Choix.
Non, ce qui semble avoir été perdu en chemin serait plutôt le sentiment même d’exister. Ou d’exister mal, incomplètement. D’où cet élan de lucidité refondateur qu’exprime Plusieurs Moi où Louis est renvoyé à lui- même, à ses doutes lui faisant déclarer « je ne suis pas un artiste« . D’où les autoportraits sans concession de Friable et Noir, où les mots dénoncent les impostures, celle de l’auteur comme celles propres à tout un chacun, quitte à en sortir avec le visage meurtri d’un boxeur après le gong. Si l’on pense passagèrement à l’art de l’autoflagellation cher à Brel, les beats industriels, comme produits par les valves et les soupapes de la salle des machines d’un brise-glace, nous ramènent irrémédiablement à une implacable modernité dont on ne peut échapper que par l’ivresse, de la danse notamment. Chaque texte s’apparente ainsi à un saut dans l’abîme d’une époque dénuée d’horizon. Fonder une famille ? Rance y renonce définitivement. Une démarche nihiliste ? Plutôt une quête de vérité. Ne mentir ni à soi-même, ni aux autres. Admettre que l’on puisse être multiple dans un monde qui répugne à reconnaître toute complexité. Supporter la mortalité sans chercher la moindre consolation dans un passé mythifié, sans quérir le refuge d’une mélancolie saturnienne, sans croire à l’amour tout en le cherchant. Et faire du désespoir un lien combatif.